Par Laurent Benoudiz

La stratégie mise en place par les époux A et leurs enfants pour transmettre leur patrimoine immobilier dans un cadre fiscal optimisé a permis à l’administration de préciser l’application du Pacte Dutreil à une activité de location meublée professionnelle.
La SARL X, détenue par M. et Mme A et leurs deux enfants, Mme C et M. B, a pour activité la location de locaux d’habitation meublés et de locaux commerciaux loués nus. La SARL exerce donc l’activité de loueur en meublé professionnel. Le 13 octobre 2010, M. et Mme A consentent une donation-partage de la pleine propriété de l’intégralité des parts de la SARL X à l’exception de deux parts sociales qu’ils conservent. Concomitamment, Mme C, la fille, prend la gérance de la société. Pour la liquidation des droits de donation, il est fait application du régime d’exonération partielle prévu à l’article 787 B du CGI plus communément dénommé « pacte Dutreil ».

Le pacte Dutreil permet de réduire la valeur de la donation de 75 % sous réserve d’un engagement de conservation de titres d’une durée totale de 6 ans : 2 ans à titre collectif et 4 ans à titre individuel.

Ravis de cette opération dont le coût est particulièrement compétitif compte tenu de l’abattement en vigueur, les époux A procèdent le 10 décembre 2010 à une augmentation de capital de 2.002.000 € par incorporation de leur compte-courant dans la SARL X. Le 16 décembre 2010, la SARL acquiert pour 6,8 millions d’euros divers biens immobiliers détenus par les époux A et des SCI familiales dans lesquelles ils sont associés avec leurs enfants.

Le 29 juillet 2011, les époux A renouvellent l’opération de donation sur les parts qu’ils ont pu obtenir lors de l’augmentation de capital du 10 décembre 2010 et consentent une nouvelle donation à leurs enfants de la pleine propriété des parts de la SARL en ne conservant, toujours, que deux parts. Cette deuxième donation bénéficie à nouveau du régime de faveur du pacte Dutreil.

L’administration lance un contrôle sur ces opérations et considère que les opérations réalisées entre décembre 2010 (l’augmentation de capital et l’acquisition des biens immobiliers détenus dans le patrimoine de la famille) et juillet 2011 (la deuxième donation des parts) ne poursuivaient d’autre but que de permettre aux époux A de transmettre à leurs enfants leur propre patrimoine sous le bénéfice d’une fiscalité avantageuse prévue par l’article 787 B du CGI, en contrariété avec l’objectif poursuivi par le législateur qui est de favoriser la transmission d’entreprise et non celle du patrimoine privé. L’administration remet donc en cause le bénéfice du pacte Dutreil sur la deuxième donation en mettant en œuvre la procédure de l’abus de droit fiscal.

Pour l’administration, la cession par les époux A à leurs enfants des biens privés qu’ils détenaient à la SARL X n’a été réalisée que dans le but de pouvoir transmettre ces biens patrimoniaux avec le bénéfice du pacte Dutreil réservé à la transmission d’entreprise et non à la transmission d’un patrimoine privé. Il y a donc abus de pacte Dutreil.

L’affaire est soumise à l’examen du Comité de l’abus de droit fiscal lors de sa séance du 6 novembre 2015(1).

Le comité, avec une très grande pertinence, s’interroge dans un premier temps sur l’application de l’article 787 B dans le cadre de la donation d’une SARL qui exerce l’activité de loueur en meublé professionnel. Pour le Comité, le bénéfice du pacte Dutreil est réservé aux sociétés ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Or, l’activité de location d’habitation meublé et de locaux commerciaux nus sans aucune autre prestation est une activité civile et donc non éligible à l’abattement de 75 %.

On pourrait à ce stade imaginer que le Comité et l’administration se rejoignent : l’abattement de 75 % n’est pas applicable ! Pour le Comité, parce que l’article 787 B du CGI réserve le bénéfice du pacte Dutreil aux entreprises exerçant une activité commerciale, ce que ne fait pas un loueur en meublé, pour l’administration, parce qu’il y a un abus de droit en appliquant l’article 787 B à la transmission d’un patrimoine privé artificiellement converti en patrimoine d’entreprise par une cession réalisée quelques mois avant la donation.

Le Comité poursuit cependant son raisonnement : si l’article 787 B est réservé aux entreprises et exclut par conséquence les loueurs en meublé, par quels moyens le contribuable a-t-il fait application de ce dispositif ? Et pourquoi l’administration a-t-elle estimé nécessaire d’employer l’arme explosive de l’abus de droit fiscal alors qu’elle aurait pu se contenter plus simplement d’exclure le bénéfice du pacte Dutreil au seul motif qu’il concernait la transmission d’une entreprise non éligible ? Parce que l’administration et le contribuable ont estimé que le bénéfice du pacte Dutreil dans le cadre d’une transmission d’une activité de loueur en meublé était expressément permise dans la doctrine administrative(2). Dès lors, le bénéfice de l’article 787 B résulte, au cas d’espèce, de l’application littérale d’une instruction fiscale « qui ajoute à la loi fiscale et est opposable à l’administration ». Il ne s’agit plus d’un abus de droit (puisque le droit ne l’autorise pas) mais d’un abus de doctrine, ce qui n’existe pas en droit, bien au contraire ! Le contribuable est protégé par l’article L 80 A du livre des procédures fiscales qui précise que « lorsque le redevable a appliqué un texte fiscal selon l’interprétation que l’administration avait fait connaître par ses instructions

[…], elle ne peut poursuivre aucun rehaussement en soutenant une interprétation différente ».

Le comité confirme que la procédure de l’abus de droit fiscal qui vise à sanctionner une application littérale de la loi à l’encontre des objectifs poursuivis par ses auteurs ne peut concerner une instruction fiscale car « ne peuvent être pris en compte […] les objectifs poursuivis par les auteurs de cette instruction ». Que c’est beau ! Le raisonnement est imparable, d’une logique parfaite et la conclusion inévitable. Au lieu de chercher les motivations « exclusivement fiscales » ou « autres que fiscales » du contribuable, le Comité a examiné l’affaire sous un angle plus large en s’interrogeant préalablement sur l’existence d’un droit susceptible d’être abusé !

S’il existe bien un esprit des lois, l’administration et ses instructions n’ont, quant à elles, aucun esprit !

Protégé par l’article L 80 A du LPF, le Comité conclut que la procédure de l’abus de droit fiscal de l’article L 64 n’est pas applicable : « si l’administration peut, dans le cadre de la procédure de droit commun, remettre en cause la situation fiscale favorable résultant de l’application d’une instruction fiscale dans le cas où le contribuable et l’opération en cause ne satisfont pas aux conditions auxquelles cette instruction subordonne le bénéfice de l’interprétation qu’elle édicte, elle ne peut en revanche, en recourant à la procédure de l’abus de droit fiscal, faire échec à la garantie que les contribuables tiennent de l’article L 80 A du livre des procédures fiscales ».

L’administration décide néanmoins de ne pas se ranger à l’avis du Comité. Pour sa part, elle considère « qu’en raison des termes employés par le législateur dans la rédaction de l’article 787 B du CGI, les activités commerciales doivent normalement s’entendre de celles revêtant ce caractère en droit privé. Toutefois, pour le bénéfice du régime de faveur prévu à l’article 787 B du CGI, la doctrine admet qu’il y a lieu de prendre en considération les activités qui sont regardées comme telles au sens du droit fiscal. Présentent ainsi un caractère commercial les activités dont les résultats sont classés dans la catégorie des BIC en application des articles 34 et 35 du CGI. Tel est le cas de l’activité de loueur en meublé à usage d’habitation exercée à titre habituel, qu’elle soit ou non accompagnée de prestations de service. »

Le deuxième argument de l’administration pour justifier le recours à la procédure de l’abus de droit est le suivant : « dans la présente affaire, l’abus de droit ne concerne pas la doctrine administrative. En effet, il ne porte pas sur la nature de l’activité exercée par la SARL X mais sur un montage ayant permis l’application du régime de faveur prévu à l’article 787 B du CGI à la transmission de biens privés par les époux A à leurs enfants alors que le législateur réserve l’application de ce régime aux transmissions d’entreprises. »

On peine à penser que cette double argumentation puisse prospérer devant les tribunaux.

En effet, la première divergence entre le CADF et l’administration porte sur la nature civile ou commerciale de la location meublée professionnelle. Voulant défendre le caractère commercial de celle-ci, l’administration se trouve contrainte de citer… sa propre doctrine. Argument surprenant à plus d’un titre puisqu’il convient justement pour l’administration de démontrer qu’il s’agit non pas d’une position reposant sur une instruction fiscale mais bien sur une disposition législative… Au surplus, que les revenus de la location meublée puissent être imposés selon les règles des BIC n’a pas pour conséquence de dénaturer la nature des revenus perçus. L’administration ne s’y trompe pas d’ailleurs lorsqu’elle écarte le remploi dans une activité de location meublée dans sa récente doctrine(3) sur l’article 150-0 B ter en précisant que « l’acquisition de biens immobiliers destinés à la location immobilière, qu’elle soit nue ou meublée, revêtant un caractère civil ou patrimonial, n’est pas éligible au remploi ». Il faudrait savoir !

Deuxième argument sur le même sujet, la location meublée serait commerciale en application des articles 34 et 35 du CGI.

Si cela était vérifié, l’argument du CADF deviendrait inopérant. Malheureusement pour l’administration, ni l’article 34 ni l’article 35 du CGI n’indiquent que la location meublée est une activité commerciale !

L’article 34 se borne à indiquer que « sont considérés comme bénéfices industriels et commerciaux, pour l’application de l’impôt sur le revenu, les bénéfices réalisés par des personnes physiques et provenant de l’exercice d’une profession commerciale, industrielle ou artisanale. Suit ensuite le rattachement des « amodiataires et sous-amodiataires de concessions minières, les titulaires de permis d’exploitation de mines et les explorateurs de mines de pétrole et de gaz combustibles »… Nous sommes assez loin des loueurs en meublés !

L’article 35, quant à lui, liste un certain nombre d’activité qui « présentent également le caractère de bénéfices industriels et commerciaux ». On n’y trouve pas la location meublée mais la « location d’un établissement commercial ou industriel muni du mobilier ou du matériel nécessaire à son exploitation », c’est-à-dire la location aménagée d’un local commercial et non la location meublée d’un local d’habitation.

L’exercice habituel de la location meublée peut-elle en soit rendre commerciale cette pratique ? En aucun cas ! Si le caractère habituel d’une location a pour effet de rendre celle-ci commerciale alors pourquoi un propriétaire louant nu plusieurs dizaines d’habitations de manière habituelle ne deviendrait-il pas également commerçant ?

La location meublée est une activité civile par nature et ce n’est que par une doctrine explicite que l’administration autorise le bénéfice de l’article 787 B. Le CADF a donc parfaitement raison lorsqu’il oppose à l’administration la garantie qu’accorde la loi contre les changements de doctrine de l’article L 80 A et écarte la mise en œuvre de la procédure d’abus de droit.

Concernant le deuxième argument avancé par l’administration, celui-ci surprend à plus d’un titre !

L’administration nous dit que l’abus de droit vise « un montage ayant permis l’application du régime de faveur prévu à l’article 787 B du CGI à la transmission de biens privés par les époux A à leurs enfants alors que le législateur réserve l’application de ce régime aux transmissions d’entreprises. » Pour l’administration, on comprend que la détention des immeubles serait donc patrimoniale et que la SARL X exerçant l’activité de loueur en meublé ne serait pas une vraie entreprise. Pourtant, c’est sa propre doctrine qui nous autorise à assimiler les locations meublées à une entreprise éligible au bénéfice du pacte Dutreil. Faut-il comprendre que le seul fait que les immeubles aient été détenus dans le patrimoine privé du contribuable suffit à leur conférer un caractère patrimonial permanent, sans qu’il soit possible lorsque ces immeubles sont exploités dans le cadre d’une location meublée d’en changer leur destination ? On ne comprend pas ce raisonnement.

Si je décide d’apporter ou de céder un immeuble détenu dans mon patrimoine privé à ma société, celui-ci devient un bien professionnel dès lors qu’il reste affecté à un usage professionnel. En prenant la décision de gérer dans un cadre professionnel sous le statut de loueur en meublé son patrimoine immobilier, les époux A prennent une décision de gestion dont ils ont le libre arbitre. Il convient ensuite d’en tirer toutes les conséquences qui en découlent, qu’elles soient favorables au contribuable ou défavorables. La SARL X détient désormais un patrimoine considéré par l’administration, quoiqu’elle en dise, professionnel.

L’intérêt de cette décision du CADF, au-delà du passionnant débat sur la combinaison de l’article L 64 et L 80 A du LPF, est l’affirmation sans ambiguïté par l’administration de l’éligibilité d’une donation de parts d’une société exerçant l’activité de loueur en meublé au bénéfice du pacte Dutreil.

La doctrine ne l’affirmait pas aussi clairement et on pouvait en douter ! En effet, l’instruction(4) sur l’application du pacte Dutreil précise dans un premier temps que « les biens susceptibles de bénéficier de l’exonération partielle de droits de mutation à titre gratuit prévue à l’article 787 B du CGI sont les parts ou les actions d’une société ayant une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. »

Exit donc la location meublée au regard des développements qui précèdent.

Cependant, l’administration rajoute que « pour l’appréciation de la nature de ces activités, il convient de se reporter aux indications données dans la documentation y afférente dans le cadre de l’exonération des biens professionnels à l’impôt sur la fortune ».

Or, l’instruction(5) sur les biens professionnels éligibles à l’exonération précise « qu’il résulte des dispositions de l’article 885 R du CGI que les locaux d’habitation loués meublés peuvent être considérés comme des biens professionnels pour l’assiette de l’impôt de solidarité sur la fortune aux conditions cumulatives suivantes :

  • que le propriétaire des locaux soit inscrit au registre du commerce et des sociétés en qualité de loueur professionnel ;
  • qu’il réalise plus de 23 000 € de recettes annuelles dans le cadre de cette activité ;
  • qu’il retire de cette activité plus de 50 % des revenus à raison desquels son foyer fiscal auquel il appartient est soumis à l’impôt sur le revenu […]. »

Ce renvoi semble donc réintégrer en effet la location meublée dans le champ de l’article 787 B.

Il pouvait encore persister un doute lorsque l’administration, dans ses commentaires sur le Pacte Dutreil, abordait le cas des entreprises ayant une activité mixte, pour partie commerciale et pour partie civile.

Dans l’hypothèse envisagée de sociétés ayant une activité mixte, il est précisé qu’il n’est pas exigé, pour l’application du dispositif d’exonération partielle, que ces sociétés exercent à titre exclusif une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale. Dès lors, le bénéfice du régime de faveur ne pourra pas être refusé aux parts ou actions d’une société qui exerce à la fois une activité civile, autre qu’agricole ou libérale, et une activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale dans la mesure où cette activité civile n’est pas prépondérante (RM Bobe n° 94047, JO AN du 24 octobre 2006, p. 11064).

 Le caractère prépondérant de l’activité industrielle, commerciale, artisanale, agricole ou libérale s’apprécie au regard de deux critères cumulatifs que sont le chiffre d’affaires procuré par cette activité (au moins 50 % du montant du chiffre d’affaires total) et le montant de l’actif brut immobilisé (au moins 50 % du montant total de l’actif brut).

 Si on considère que la location meublée est une activité civile, nul doute que l’actif brut immobilisé d’un loueur en meublée représente plus de 50 % de son actif total ni que le chiffre d’affaires, constitué uniquement de recettes civiles, représente plus de 50 % du chiffre d’affaires total.

Prudence étant mère de sûreté, nous ne nous aventurions pas, jusqu’à ce jour, à proposer à nos clients la transmission de leur SARL de loueur en meublé sous le bénéfice d’un pacte Dutreil.

Tout doute est désormais écarté puisque l’administration défend elle-même avec fougue l’application du pacte Dutreil pour les loueurs en meublé professionnels !

Bonne nouvelle s’il en est pour nos clients qui peuvent combiner à la fois l’exonération au titre de l’ISF sur leur activité de loueur en meublé et transmission dans le cadre d’un pacte Dutreil de leur patrimoine immobilier.

L’absence d’objectifs poursuivis par les auteurs d’une instruction, ou, dit autrement, l’absence d’esprit d’une instruction, nous permettra de conclure sur un mauvais jeu de mots : tel esprit qui croyait prendre !

 

ARTICLE PARU DANS OUVERTURE N°98 – FÉVRIER 2016

 

1 – Affaires n° 2015-07, 2015-08 et 2015-09

2 – BOI-ENR-DMTG-10-20-40-10 renvoyant à BOI-PAT-ISF-30-30-10-10

2 – BOI-RPPM-PVBMI-30-10-60 en date du 2 juillet 2015, § 310

3 – CADF/AC n°01/2015, affaire n°2014-33

4 – BOI-DMTG-10-20-40-10, paragraphe 10

5 – BOI-PAT-ISF-30-30-10-10